Sexualité désirée ou rapports sexuels consentis ?

L’annonce faite par la Ministre des Droits
des Femmes en juin
sur sa volonté
d’ « abolir la prostitution »
a relancé un débat
qui oppose les tenants
de l’anti-abolition contre les abolitionnistes
qualifié-es dans certaines tribunes de moralistes.

Le débat est intimement lié à ceux sur les dominations dont fait l’objet le corps des femmes (vêtements religieux qui cachent le corps, gestation pour autrui). Il est également celui de la libéralisation sauvage des rapports non seulement sexuels mais humains que notre société dessine pour toutes et tous, mais surtout pour les femmes.

« Traiter une personne comme une marchandise, même avec son consentement, est un crime » explique Margaretha Wimberg, ministre suédoise de l’égalite des sexes.

La prostitution se caractérise par l’exploitation sexuelle d’un corps, et donc d’une personne, par un individu qui paye un « service ». Ce rapport marchand rend fatalement le rapport sexuel inégalitaire, créant une dépendance de l’un au profit d’un autre. La relation physique entre deux personnes se transformant par sa tarification en un rapport sexuel dénué de désir.

La capitalisation des corps

Accepter que la prostitution soit un métier comme un autre, c’est considérer que le rapport marchand entre deux corps est socialement acceptable. Janice G Raymond l’exprime ainsi quand il s’agit de la légalisation qui « motive les hommes à̀ acheter des femmes en vue de rapports sexuels dans un cadre social acceptable large et permissif.»(1).

L’argument opposé par les anti-abolitionnistes est le plus souvent que la prostitution n’est rien de plus que la mise à disposition d’une partie de son corps pour obtenir un revenu comme une travailleuse louerait sa force de travail à l’usine.

Si la prostitution est assimilée à un simple rapport économique et socialement considéré comme acceptable, alors rien n’empêche la gestation pour autrui d’être légalisée. Et si la « location d’organes sous contrat » est acceptable (les clients des prostitué-es louent bien un organe génital), qu’est ce qui, à terme, justifierait l’interdiction de la vente d’organes ou du sang ?

Ce débat n’est pourtant pas repris par les tenants de l’anti-abolition. Cette transgression à l’indisponibilité du corps humain serait-elle liée à la féminisation majoritaire des prostitué-es ?

Et le désir dans tout ça ?

Le deuxième argument qui est opposé aux abolitionnistes est celui de la position morale (la sacralisation de la sexualité) que sous entendrait leur lutte. Le rapport sexuel ne serait qu’une relation humaine au même titre que les autres, la prostitution devenant donc un « métier ». La question centrale est donc celle de la place de la sexualité et du sexe dans la construction intime et sociale des individus.

Les débats qui ont suivi la décision du Conseil d’Etat à propos du harcèlement sexuel ont fait l’unanimité : harcèlement sexuel et harcèlement moral ne peuvent être qualifiés de façon identique.

L’éducation à la sexualité à l’école n’est pas remise en cause. Si les conséquences de rapports sexuels non désirés, d’une sexualité non désirée, ne sont pas plus néfastes qu’un job d’étudiant dans une chaîne de restauration rapide, quel serait l’intérêt de séances spécifiques ?

La question de la sexualité, le sexe, ont une place prépondérante dans la vie d’un individu. C’est pourquoi les violences sexuelles envers les enfants sont plus durement punies que les violences physiques. C’est pourquoi le viol a été qualifié comme un crime mettant au centre de la relation sexuelle la question du désir et non du consentement(2). Dans la prostitution, c’est la recherche de rémunération qui est au centre de la relation « consentie » et non celle du désir physique de l’autre et de la recherche de plaisir.

Le viol entre conjoints est reconnu même quand les rapports ont été consentis dans la chambre conjugale car le désir était absent de la relation sexuelle. Ne pas tenir compte de la spécificité de la sexualité, de la place du désir dans les rapports sexuels, c’est considérer que le viol pourrait ne pas être un crime et « aller au bout de la logique et considérer que les femmes violées font bien des histoires avec pas grand-chose… ».

Ingrid Darroman

1) Dix raisons de ne pas légaliser la prostitution
14 juin 2011 par Janice G. Raymond www.sisyphe.org

2) « Consentir » Définition Larousse 2012 :
accepter que quelque chose se fasse ;
tomber d’accord sur quelque chose ; acquiescer :
« La direction consent à l’augmentation des salaires ».