Ardentes impatientes

Quantité d’ouvrages ont fleuri ces dernières années pour tenter de décrire la vie dans les salles de classe. La plupart écrit par des enseignants, presque tous sur le mode alarmé, ils veulent illustrer l’impossibilité d’enseigner dans certains collèges ou lycées, dans certaines classes redevenues dangereuses.

Parce qu’un des narrateurs du livre est un prof de lycée, on pense forcément à sa lecture à François Bégaudeau. Mais on s’aperçoit vite que la comparaison est injuste. Nulle trace dans ce récit du cynisme désenchanté de l’auteur d’Entre les murs dont les scènes de classe ne semblent être qu’une longue et complaisante mise en valeur du prof-narrateur, double de l’auteur. Rien de tel dans Des impatientes où l’enseignant, de bonne volonté, apparaît tout pétri de doutes et en proie à ses propres préoccupations personnelles. Ni héros, ni salaud, c’est juste un jeune homme un peu perdu qui essaie de faire son travail correctement tout en réglant ses problèmes amoureux, extrêmement banals au demeurant.

Mais surtout il s’efface devant les deux principaux personnages, des élèves de ce lycée de banlieue, toutes deux d’origine africaine, des « renois » comme dit l’une d’entre elles mais pourtant très différentes : Alima est aussi sage que Bintou est délurée, l’une s’intéresse à Jeanne d’Arc et Marilyn Monroe, l’autre aux mecs et aux boîtes de nuit, la première est bonne élève, l’autre sèche les cours…

Leurs destins vont pourtant se heurter dans la cours de récréation… Plus tard, elles se retrouveront à travailler dans le même magasin. Ces retrouvailles improbables les révèlent plus proches l’une de l’autre qu’elles ne pouvaient le soupçonner. Au-delà de leurs différences de caractère, de leurs fêlures intimes, de leurs histoires personnelles, elles partagent la même énergie, la même rage de vivre et ensemble essaieront de faire reculer les frontières de l’exploitation sur leur lieu de travail.

Roman riche, récit à plusieurs voix qui s’entremêlent parfois, accélérant alors brutalement la narration pour reprendre ensuite un rythme plus lent, le livre a évidemment une dimension sociale. Alima et Bintou essaient de faire face avec ce qu’elles sont, aux difficultés qui sont propres à leur situation sociale et à leur condition de jeunes filles noires. Mais malgré toutes les embûches qu’elles rencontrent, elles ne sont pas vues comme des victimes mais bien comme des jeunes filles qui luttent et qui portent en elles l’espoir d’une vie meilleure avec l’ardente impatience propre à la jeunesse.

Loin des clichés qui font peur sur l’inquiétante jeunesse des cités, Des impatientes est porté par le regard à la fois bienveillant et sans concession de l’auteur sur ses personnages qui se débattent comme ils peuvent mais avec une profonde humanité dans le monde post-colonial qui est le nôtre. Et ce qui surprend le plus à la lecture de ce livre c’est son extraordinaire justesse de ton, étonnante de crédibilité et qui seule fait la marque des bons romans. On est surpris par la vérité qui sourd des scènes décrites, l’authenticité des dialogues, le réalisme des situations. A lire et faire lire sans modération.

Stéphane Moulain

Sylvain Pattieu, Des impatientes, éditions du Rouergue, 19,5 euros