Synthèse des apports de la sociologie féministe

Les récentes polémiques autour de l’enseignement portant sur le genre au lycée ont eu pour heureuse conséquence d’attirer l’attention plus largement sur les travaux des sociologues féministes. Roland Pfefferkorn offre
une analyse fine de la notion de « genre », de son histoire, de son utilité. A l’école, dans le monde du travail mais aussi dans la famille et le couple, il n’y a pas de rôle « naturel » : les hommes et les femmes résultent
d’une fabrication sociale, propre à chaque époque, à chaque société.


Roland Pfefferkorn est professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg,
il est l’auteur de nombreux livres, notamment Hommes-femmes. Quelle égalité ? (Editions de l’Atelier, 2002, avec Alain Bihr), Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classe, rapports de sexe (La Dispute, 2007), Chemins de l’émancipation et rapports sociaux de sexe, (La Dispute, 2009, avec Philippe Cardon et Danielle Kergoat).

◗ EE : Ton livre dresse un bilan des apports de la sociologie féministe. Comment la pensée critique dont tu rends compte s’est-elle développée ?

Roland Pfefferkorn : C’est le mouvement des femmes des années 1969/1976 qui a été à l’origine de cette effervescence théorique. Théorie et pratique ont partie liée. Le corpus de concepts qui s’est constitué au cours des décennies qui ont suivi est très riche. Leur construction a été progressive. Dans une première phase furent dégagés, entre autres, les concepts de patriarcat, de mode de production domestique, de travail domestique, de travail productif et reproductif, d’articulation production/reproduction et de division sexuelle du travail, sans compter ceux de sexe social, sexage, classe de sexe. Par la suite, les concepts de genre et de rapports sociaux de sexe marqueront le paysage théorique.

◗ EE : A quoi servent ces catégories ?

R. P. : D’une part ces catégories ont en commun la volonté de penser l’oppression des femmes et de proposer des moyens d’y mettre un terme. D’autre part elles visent toutes à rompre avec le naturalisme. Et les deux aspects sont étroitement liés. La diversité des concepts tient au caractère multidimensionnel de l’oppression qui renvoie à la fois à l’exploitation, à la domination, à la discrimination et à la stigmatisation des femmes. Les chercheuses féministes sont parties de l’idée que les hommes et les femmes sont des catégories qui procèdent d’une mise en forme sociale d’un donné naturel. Les travaux antérieurs privilégiaient des approches en termes de « condition féminine », expression renvoyant à un état prédéterminé, ou de « rôles de sexe » attendus ou prescrits, notamment en ce qui concerne les « rôles conjugaux ». La sociologie de la famille était fortement imprégnée de conceptions normatives : la famille nucléaire standard reposait sur la complémentarité d’un rôle instrumental dévolu à l’homme et d’un rôle expressif revenant à la femme. Le premier était censé assurer le lien avec la société globale et à pourvoir par son activité professionnelle à l’entretien des membres de la famille. La seconde était chargée d’assurer par son travail domestique et sa présence permanente le fonctionnement quotidien de la famille et la socialisation des enfants. Les a priori naturalistes sur lesquels repose cette vision seront identifiés de même que les rapports de pouvoir qui sous-tendent cette « complémentarité des rôles ».

◗ EE : Comment faut-il comprendre le genre ?

R. P. : D’abord comme un système ou, mieux encore, comme un rapport social. C’est pourquoi le genre est toujours au singulier.
Au pluriel le concept est vidé de sa charge subversive et fonctionne simplement comme un synonyme pseudo-savant de sexe. Certes dans un premier temps, quand le terme a fait son apparition, le genre renvoyait d’abord au sexe social par opposition au sexe biologique, mais par la suite le sens qui s’est imposé c’est celui d’un rapport de pouvoir ou d’un rapport social.

◗ EE : Qu’est-ce qui vous amène à privilégier en fin de compte les concepts de division sexuelle du travail et, surtout, de rapports sociaux de sexe ?

R. P. : Pour aller vite je dirais que la supériorité théorique du concept de rapports sociaux de sexe tient d’abord au fait qu’il articule d’emblée les rapports de sexe aux rapports de classe. Il prend en compte l’antagonisme entre la classe des femmes et celle des hommes. Enfin, il place la question du travail au cœur de la domination, comme de l’émancipation.

◗ EE : Quel est l’objectif de ton livre ?

R. P. : Il s’agit d’offrir un parcours permettant aux lectrices et aux lecteurs d’accéder à la diversité, la richesse et l’utilité des analyses produites par les différents courants et auteures féministes matérialistes. Il permet aussi de rappeler quelques uns des débats qui ont traversé le mouvement des femmes.

Propos recueillis par Laurent Zappi

◗ Roland PFEFFERKORN – Genre et rapports sociaux de sexe – Lausanne, éditions Page 2, collection Empreinte, 140 pages, 9,50 euros.