Standard & Poor’s dégrade la note de la France et de huit autres pays de la zone euro

La France vient de perdre ses trois A ! Elle n’est pas la seule. Standard & Poor’s[[Rappelons que ladite agence avait – comme ses alter ego – surévalué les subprimes et, plus récemment, s’était fait remarquer en dégradant la note de la dette souveraine étatsunienne. Elle s’était trompée dans ses estimations de… 2000 milliards de dollars. Elle fait l’objet d’une plainte devant les tribunaux de la part du gouvernement américain. Les Etats-Unis, avec leur AA+ comme la France, n’ont pas vu leur taux d’intérêt baisser. Au contraire, il est moins élevé que celui de l’Allemagne… Nous verrons plus loin pourquoi. ]], a aussi dégradé la note, et plus durement, du Portugal, de l’Espagne et de 5 autres pays de la zone euro.

Les deux autres grandes agences, Fichte et Moody’s ont aussi mis tous ces pays « sous surveillance » reprenant à leur compte la même analyse.

**Une question de politique politicienne.

S&P’s a réussi une grande première. Faire perdre à Sarkozy sa langue. Il laisse parler son Premier ministre qui n’en demandait pas tant. Pour répéter encore et encore qu’il faut plus d’austérité tout en réfutant l’annonce d’un troisième plan de rigueur.

Le gouvernement allemand défend son allié pour continuer de construire ce drôle de personnage appelé « Merkozy ». L’agence de notation ne pouvait diminuer la note de l’Allemagne, elle a donc fait payer aux autres pays de la zone euro, la crise financière et économique qui se poursuit et touche, à l’exception de l’Allemagne pour le moment, tous les pays de la zone.

Pour la France, la question est plutôt de politique interne que d’économie. Nicolas Sarkozy avait fait du maintien des trois A, le nec plus ultra de sa politique. Il fallait à toute force conserver cette notation. Alain Minc allait jusqu’à dire que c’était notre « trésor national »… Avant de se rétracter face à la réalité !

La baisse des dépenses publiques, l’augmentation de la TVA… Toutes ces mesures impopulaires ne se trouvaient justifiées qu’en fonction de cette nécessité. Disparaissait le pourquoi.

Désormais, le vocabulaire s’est de nouveau enrichi. La première crise financière avait fait des subprimes un sujet de discussion, la deuxième permet de voir surgir un nouvel acteur : les agences de notation et leur fameux 3 A[[Rappelons que les agences de notation existent, pour les trois plus grandes d’entre elles, S&P’s, Fichte, Moody’s, depuis la fin du 19e siècle. Elles sont nées avec les sociétés anonymes, et du besoin d’évaluer celles-ci pour permettre au « public » d’acheter ou non les actions de ces sociétés. Elles ont ensuite évolué, notant les produits financiers dans le contexte de la déréglementation financière des années 1980 et ont noté ensuite les dettes des Etats. Quinze agences de notation se partagent le marché. Le gouvernement chinois a aussi créé la sienne, mais elle n’est pas – encore ? – reconnue comme légitime par le marché. Elle avait, avant S&P’s, baissé la note de la France.]]. Le « sommet de crise » a dû trouver un nouvel angle d’attaque pour justifier ces politiques : la compétitivité des entreprises françaises.

Elle s’était fait oublier, on la retrouve. Elle permet d’avancer une des mesures phares du gouvernement – que le président de la République n’a pas annoncée lors du sommet du 18 janvier 2012 – la hausse de la TVA pour alléger les charges sociales des entreprises.

Autrement dit, Sarkozy veut faire payer doublement les salariés : d’abord en baissant le salaire indirect, redistribué, qui finance toute la protection sociale, et en augmentant les prix via un impôt indirect qui fait payer davantage les bas revenus que les hauts. L’injustice sociale au carré sinon au cube !

Par le biais de la baisse des recettes de la protection sociale, de la Sécurité sociale, se profile une baisse drastique des dépenses – sous prétexte de lutter contre un déficit qui serait « abyssal » -, et c’est tout le modèle social français qui éclate.

En conséquence, la baisse du marché final sera encore plus importante. Le risque d’une dépression est au bout de cette politique.

Pourtant, les effets à court terme de cette baisse de la notation ne sont pas aussi catastrophiques que prévus. Le 19 janvier, l’Agence France Trésor (AFT)[[AFT a été créée le 8 février 2001 pour gérer les besoins de financement de l’Etat, dans le nouveau contexte ouvert par la création de l’euro et l’appropriation par la BCE de la politique monétaire. ]] a placé sur les marchés toutes les obligations (dites OAT, obligations au Trésor) émises à un taux de 3,138% à 10 ans et à un taux inférieur pour des obligations indexées sur l’inflation.

Certes, ce taux à 10 ans est le double de celui de l’Allemagne mais moins élevé que celui pratiqué en janvier 2011 qui était de 3,33%. L’Espagne, ce même jour, a réussi aussi à placer ses obligations à un taux de 5,152% toujours sur 10 ans, alors que ce taux se montait à 5,435% en janvier 2011. Le Portugal, qui a été plus fortement dégradé et est considéré comme « insolvable », a placé des Bons du Trésor à 11 mois à un taux de près de 5% alors que ses taux à 2 ans se montent à… 15% !

Il existe donc un écart entre le coût effectif de financement, soit le taux de l’émission, et le taux du marché secondaire, lieu où s’échangent les obligations répondant aux dettes « anciennes » des Etats.

Une anomalie relevée par les opérateurs qui s’explique par « la répression financière ». Les Etats – en France donc l’AFT – « forcent » les banques et les investisseurs institutionnels à souscrire de la dette souveraine au meilleur prix. On pourrait élargir la question en exigeant des banques qu’elles souscrivent les obligations à un taux de… 0%. C’est dire que les moyens politiques existent[[Cf. Les Echos des 20 et 21 janvier 2012 sous un titre qui n’a rien à voir : « Les marchés balayent les sanctions de S&P ».]].
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**L’analyse de S&P

Comme souvent, les raisons invoquées par les agences de notation sont contradictoires. D’un côté, elles proposent l’approfondissement des politique d’austérité pour améliorer la compétitivité, de l’autre elles en craignent les contrecoups en termes de récession, laquelle peut bloquer toute capacité de payer la dette.

Ces agences ne croient pas que l’accord du 9 décembre 2011 puisse permettre une sortie de crise pour la zone euro. Elles voudraient à la fois que les politiques résolvent la crise de la dette via la baisse des dépenses publiques, la crise économique en luttant contre la récession, et permettent de combler « la divergence de compétitivité entre le noyau de l’UEM[[Union Economique et Monétaire, autre nom de la zone euro.]] et la soi-disant périphérie. »[[Citation tirée d’une tribune dans Le Monde daté du 19 janvier, signée par André Grjebine et Francesco Saraceno : « La rigueur ne suffit pas. Le diagnostic de S&P est bien mal interprété. »]]

L’interprétation ne peut pas être unilatérale. Les préconisations de ces agences, un peu comme une grande partie des commentateurs qui n’osent pas rompre avec les politiques d’austérité, voudraient marier l’eau et le feu. Il est des contradictions qui ne peuvent se résoudre. Il faut choisir une voie. Grjebine et Saraceno[[opus cité.]] en choisissent une, la seule possible au niveau économique. Mais ce n’est pas celle des agences de notation.

La dégradation de la note de huit pays est révélatrice de la dimension de la crise actuelle. C’est toute la zone euro qui se trouve, assez logiquement, dans l’œil du cyclone. Ce n’est pas une surprise.

La réplique de la crise financière qui s’est déclarée en août 2011 a comme épicentre la zone euro, contrairement à celle d’août 2007 qui, via les subprimes, touchait d’abord les Etats-Unis.

La zone euro est menacée d’éclatement. L’accord du 9 janvier n’a rien résolu. Il constitutionnaliser les politiques d’austérité. Un non sens politique et économique. Les raisons ne sont pas à rechercher sur le terrain des réponses à la crise. Martin Wolff, dans Le Monde Economie daté du 13 décembre 2011, met en cause la compétence des gouvernements. Ils se sont mis à deux, dit-il, pour se tromper sur le diagnostic et sur les réponses. La crise ne provient pas, contrairement à leurs affirmations, du non respect des critères du traité de Maastricht et du Pacte de Stabilité, d’une augmentation sans frein des dépenses publiques, mais d’un côté de la surproduction et de la baisse de la profitabilité de l’autre.

Wolff, en bon néo keynésien insiste sur la surproduction en proposant une politique de relance, alors que Merkozy, en bons néo libéraux, proposent une politique drastique de lutte contre les déficits publics via soi-disant la lutte contre l’endettement. Or, les politiques d’austérité sont incapables de résoudre la crise de l’endettement et de lutter contre la récession. Elles ont font la démonstration.
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**Retour à la Grèce.

Le cas de la Grèce est symptomatique. La crise de la dette souveraine se poursuit après la mise en œuvre de politiques d’austérité drastiques, de baisse des salaires des fonctionnaires, des pensions de retraite, la hausse des suppressions de postes, des licenciement, du chômage et la récession s’approfondit.

Après une chute de 5% du PIB pour 2011, il est prévu une baisse de la création de richesses de 6%… La Grèce, de nouveau, se trouve de nouveau sous les feux des projecteurs. Elle ne pourrait pas faire face au service de sa dette et les marchés financiers refuseraient de lui prêter davantage. L’accord de fin octobre 2011 des pays de la zone euro – conduit par « Merkozy » – pourrait ne pas s’appliquer.

Le FESF – Fonds européen de stabilité financière – devait « aider » la Grèce en lui prêtant des capitaux et les banques devaient abandonner 50 à 60% de leur créance (le montant facial des obligations de l’Etat grec) pour permettre à la Grèce d’éviter une suspension de paiement qui aurait des conséquences dramatiques pour les banques propriétaires de cette dette.

En cas de non paiement du service de la dette[[La dette totale n’est pas la question. Pour les prêteurs, l’important est le service de la dette, la capacité du créancier, de l’emprunteur de faire face au paiement des intérêts, facteur d’augmentation des bénéfices. ]] , le risque de faillite bancaire s’actualiserait. Les hedge funds – ces fonds spéculatifs – refusent de jouer le jeu de l’annulation. Ce sont eux, et non pas pour le moment les agences de notation, qui peuvent devenir un nouveau facteur déclencheur d’un approfondissement de la crise financière. Ce faisant ils scient la branche sur laquelle ils sont assis en privilégiant les profits à court terme.

Le procédé est immoral mais légal. Ces fonds ont racheté des obligations dont la date d’échéance est 2012 avec une décote sur les marchés de 40%[[La crise de la dette souveraine de la Grèce éclate en mai 2010. Les agences de notation la dégradent. Les taux d’intérêt grimpent. Plus encore, avec une note 3 C, les obligations de la dette grecque sont considérées comme « nocives » et les sociétés d’assurance vie sont obligées de les vendre. Du coup, la décote – la baisse de leur valeur est importante – et atteint, au minimum, 40%. Les hedge funds, des vautours, les rachètent à ce moment là. Ils avaient agi de même lors des précédentes crises de la dette qui avaient touché les pays latino-américains et l’Asie du sud-est. ]], et des CDS – credit default swaps.

Les CDS sont des produits d’assurance qui ne sont appuyés sur aucun actif. Ils assurent le propriétaire du CDS contre le risque de défaut de paiement d’un débiteur. Ils sont autonomes – ils ne le seront plus si la directive de l’UE se met en place – par rapport à la dette elle-même. Autrement dit, il est possible d’acheter des CDS sans être propriétaire de la dette, des obligations que ces produits d’assurance couvrent.

Les hedge funds possèdent à la fois les obligations du Trésor grec et le produit d’assurance. De deux choses l’une, soit le gouvernement grec réussit à faire souscrire ses nouvelles obligations, il rembourse la dette passée, et les hedge funds réalisent une plus value de 40% sans rien faire, soit il ne le peut pas et dans ce cas ces fonds font jouer les CDS et… gagnent 40% !

Une fois encore, il devrait être question de réglementation pour interdire ces spéculations, inutiles sur le terrain même des mécanismes de financement et nocives sur celui de l’économie en général.

Malgré cette réalité, « Merkozy » poursuit dans cette même voie en forme d’impasse. Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, écrit que tous ces dirigeants rêvent le monde sans rapport avec sa réalité.

L’idéologie libérale forge un monde imaginaire qui devient cauchemar pour le plus grand nombre. Le noyau « rationnel » de ces politiques, c’est la volonté affirmée de détruire les services publics et plus généralement toutes les solidarités collectives et l’ensemble des acquis sociaux, résultats des luttes sociales des siècles passés.

La crise de la zone euro se poursuivra. Elle menace même l’Union Européenne. Que la Grande-Bretagne ait refusé de se joindre à Merkozy – et aux 24 autres – signale cette réalité.

David Cameron ne pouvait signer cet accord. C’était la remise en cause de son autonomie monétaire. Conserver la Livre sterling a permis de conserver la banque d’Angleterre comme prêteur en dernier ressort et de financer les besoins de financement de l’Etat britannique par la monétisation des déficits, à l’instar de la situation existant aux Etats-Unis et au Japon. On comprend l’enjeu.

La question centrale ne se trouve pas dans la résolution des dettes souveraines, sauf pour la Grèce. Mais dans le risque de faillite bancaire généralisée.

La plupart des commentateurs ont tendance à oublier que la crise financière vise d’abord les banques, comme après août 2007. La menace est beaucoup plus forte. Les Etats n’auront plus les moyens de sauver toutes les banques et toutes les assurances.

Ils devront laisser faire les faillites avec leurs conséquences sur l’ensemble de l’économie et de la société. Les banques, face à ce risque, suppriment des emplois à tour de bras pour diminuer le coût du travail, comme si c’était suffisant pour augmenter les bénéfices bancaires et continuer à payer les bonus des traders. Le chômage ne peut que hausser et la consommation des ménages diminuer, déclenchant ainsi une profonde récession.

Une mesure de prévention face à ce risque de faillite généralisée, dont Dexia montre toute l’actualité, serait de nationaliser le système bancaire et de créer un pôle de financement public pour orienter les crédits vers le développement de l’économie et des services publics. Une voie nécessaire, sinon…

Nicolas BENIES
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**ANNEXE :

Sur l’accord du 9 décembre 2011.

Le 9 décembre 2011, « Merkozy » – un néologisme nécessaire pour figurer l’accord des deux gouvernements de droite, allemand et français – a imposé aux pays de l’Union Européenne, à l’exception de la Grande-Bretagne qui a refusé d’y participer, un accord qui jette les bases d’un nouveau traité. Sarkozy a parlé d’une nouvelle Europe, si celle-ci résiste à la crise qui vise en priorité les pays de la zone euro.

Cet accord sanctionne tout manquement à la mise en œuvre des critères du traité de Maastricht et du Pacte de Stabilité en les renforçant sensiblement. Les déficits publics ne pourraient pas dépasser 0,5% du PIB – au lieu du 3% habituellement considéré – sur une période de référence. Une définition de la « règle d’or » qu’il faudrait inscrire dans les Constitutions nationales.

Un renforcement de la discipline budgétaire avec ses conséquences en forme de catastrophe. Réduire les dépenses publiques et augmenter les impôts indirects (sur la consommation, la fameuse TVA dite sociale, voir article d’E. Labaye) conduit inéluctablement à la récession profonde et au risque de dépression type celle des années 1930. Ce spectre hante les éditos des magazines économiques. A juste raison.

L’austérité ne résout ni la question de la dette souveraine, ni à fortiori celle de la croissance. La Grèce est un exemple qu’il faut méditer. Des baisses énormes des dépenses publiques avec comme résultat la poursuite de la crise de la dette et la récession qui s’approfondit.

Pourquoi Merkozy s’obstine-t-il dans cette politique ? Martin Wolff, par ailleurs éditorialiste au Financial Times, répond dans Le Monde Economie du mois de décembre en soutenant l’erreur de diagnostic de gouvernants qui n’ont rien compris à la crise systémique actuelle enfoncés qu’ils sont dans le marasme intellectuel de l’idéologie libérale.

Il n’est pas le seul à prétendre que les élites sont dépassées par la crise. L’incompétence sera l’explication clé de cette politique. Cette vision, trop restreinte, se situe sur le seul terrain de l’économie. Si on élargit l’angle de vue en incluant les luttes sociales, la politique d’austérité prend une autre dimension, celle de la volonté de détruire tous les acquis sociaux, toutes les solidarités collectives pour casser les capacités de résistance des populations.

Dans le même temps, l’idéologie n’est pas loin. La privatisation reste le nec plus ultra de ces politiques pour construire de nouveaux lieux d’accumulation du capital.

La crise de l’euro ne trouve là aucun début de résolution. Au contraire. Les forces centrifuges sont à l’œuvre. En France, la récession est là et s’installe et aura une influence négative sur les déficits publics comme sur la dette.

Standard and Poor’s – l’agence de notation – a dégradé la note de la France, de AAA à AA+, en mettant en avant l’absence de solution pour combattre la crise de l’euro. Derrière, c’est toute la construction européenne qui risque de disparaître. L’enjeu est de taille.

Nicolas BENIES.