Nicaragua, il y a 40 ans : un immense espoir se lève en Amérique !

Juillet 1979: il y a 40 ans la révolution sandiniste victorieuse entre triomphalement dans les rues de la capitale du Nicaragua. Le drapeau rouge et noir du FSLN (Front sandiniste de libération nationale) claque au vent et fait lever un immense espoir chez les progressistes et révolutionnaires du monde entier qui, fiévreusement, suivaient les évènements de ce petit pays d’Amérique centrale devenu soudain l’épicentre de l’internationalisme.

Arrivés à la tête d’un État qui compte alors parmi les plus plus pauvres et inégalitaires de la planète, brutalisés durant des années par une sanglante dictature alignée sur l’impérialisme nord-américain, les Sandinistes ont alors fort à faire pour construire la société démocratique et socialiste que leur victoire met à l’ordre du jour. Ce succès vient de loin et puise ses racines dans l’histoire profonde d’un pays marqué par le colonialisme, l’impérialisme et la mainmise sanglante d’un clan un pouvoir. Quatre décennies après ces évènements, et alors que le Nicaragua reste dirigé par un héritier très controversé de cette période, il est utile de revenir sur cette révolution qui, à contre-courant, triomphe au moment où le monde bascule dans le néolibéralisme.

Colonisé par les Espagnols depuis le milieu du XVIème siècle, le Nicaragua accède à l’indépendance en 1822 dans le sillage des autres territoires d’Amérique latine, dans le cadre d’une éphémère République fédérale d’Amérique centrale, puis vole de ses propres ailes à partir de 1838. Régulièrement en proie à de conflits avec ses voisins, aux guerres civiles entre libéraux et conservateurs, mais développant la culture et l’exportation du café, le pays voit peu à peu l’ombre du voisin nord-américain planer sur son territoire. Les États-Unis font de l’Amérique centrale leur chasse gardée, n’hésitant jamais à intervenir dans les affaires internes d’un pays pour défendre leurs intérêts. En 1909, l’armée des USA soutient le coup de force de l’opposition conservatrice contre le président progressiste Zelaya et, par un traité signé en 1914, s’assure la construction d’un canal et l’établissement d’une base militaire sur place. Refusant la présence de soldats américains sur le sol de son pays, combattant l’oligarchie nicaraguayenne à leur service, le général Augusto Sandino anime à partir de 1926-1927 une guérilla paysanne qui lève l’étendard de la souveraineté populaire. Influencé par le marxisme, il veut unir paysans et indiens autour d’un projet d’unité de l’Amérique latine. Assassiné sur ordre du pouvoir, il devient le symbole de la lutte pour la libération de sa patrie. Les Marines US quittent le Nicaragua en 1933 et, si la présence des États-Unis, se fait plus discrète, l’arrivée au pouvoir d’Anastasio Somoza en perpétue pourtant la mainmise.

Le Nicaragua sous la coupe du clan Somoza

Dès son arrivée à la tête du Nicaragua, le premier des Somoza installe une dictature féroce qui s’appuie sur la force répressive de la Garde nationale créée lors du retrait des troupes américaines pour maintenir un ordre social dont le nouveau président est le premier bénéficiaire. L’immense majorité de la population est analphabète, exploitée dans les immenses propriétés foncières ou les plantations de café dans des conditions parfois proche de l’esclavage. A l’autre bout de la chaîne, d’immenses fortunes se sont constituées, dont celle du clan Somoza. La dynastie contrôle les secteurs du bois, de la pêche, du coton, des transports et possède d’immenses domaines agricoles sur lesquels travaillent des centaines de paysan-es sans terre. La somptueuse hacienda des Somoza, bâtie sur les hauteurs de Managua, constitue le symbole suprême de la « cleptocratie » de la famille. Après l’assassinat du premier Somoza en 1956, son fils lui succède jusqu’en 1967, où son propre frère prend à son tour les rênes de l’Etat. Chef de la Garde nationale depuis plus de 30 ans, il est un relais de la politique anti communiste des États-Unis qui surveille l’Amérique latine comme le lait sur le feu depuis la victoire des partisans de Fidel Castro à Cuba. L’émergence du FSLN au Nicaragua en est un des prolongements.

La montée du FSLN

C’est en 1961 qu’est créé le Front sandiniste de libération nationale qui, dès le départ, inscrit ses pas dans le sillage de Sandino en se fixant comme objectif de débarrasser le pays des Somoza et de l’impérialisme. Ses fondateurs, Carlos Fonsceca et Tomas Borge, sont influencés par les théories guévaristes et veulent, sur le modèle cubain, lancer des opérations de guérillas liées aux paysan-es, combinées à des luttes ouvrières dans les usines. Les dirigeant-es du Front tournent aussi leur regard vers la Chine maoïste et ses communes populaires qui font alors figure de modèle pour les pays du Tiers-monde où la paysannerie pauvre constitue la majorité du prolétariat. La troisième grande source théorique du FSLN vient d’un catholicisme révolutionnaire incarné par la théologie de la libération, alors en plein essor. Le prêtre Ernesto Cardenal et sa communauté libertaire de Solentiname entendent transformer la croyance religieuse en arme insurrectionnelle au service des pauvres. Le FSLN lance de premières attaques mais, traqué par la redoutable Garde nationale, son organisation est plusieurs fois démantelée. Ses dirigeant-es vivent en exil où ils/elles bénéficient de l’appui inconditionnel de Cuba. La torture et le meurtre politique sont une arme quotidienne pour les nervis du régime. Pour populariser leur combat, les Sandinistes publient en 1969 un programme en 14 points où ils/elles se prononcent pour une vaste réforme agraire, une authentique démocratie et pour l’unité du sous continent latino-américain. Le FSLN entre dans une clandestinité totale en 1970 pour reconstituer ses forces et se lier plus en profondeur aux masses. Dans le même temps, le terrible tremblement de terre qui ravage Managua en 1972 porte un coup au pouvoir de Somoza. Les ruines de la ville et ses 10 000 mort-es enfoui-es sous les décombres apparaissent comme le symbole d’un clan coupé de son peuple, indifférent à ses souffrances et à son deuil.

Des divisions…

C’est par une action spectaculaire que le FSLN sort de sa période de clandestinité en décembre 1974. Les combattants sandinistes déclenchent une prise d’otage stratégique dans la maison d’un ministre somoziste où sont rassemblés plusieurs hauts dignitaires du régime. En échange de leur libération, le FSLN obtient l’élargissement de plusieurs de ses militant-es qui peuvent aller se réfugier à Cuba, ainsi que la lecture d’un communiqué de revendications sur toutes les ondes du pays. A partir de là, les affrontements entre Sandinistes et Garde nationale gagnent en intensité et les martyrs révolutionnaires se comptent par dizaines. Carlos Fonsceca lui même tombe les armes à la main fin 1976. Le courage des révolutionnaires face à la dictature attire vers eux un vaste mouvement de solidarité internationale. Des centaines de jeunes Nicaraguayen-es rejoignent la guérilla qui trouve aussi une sympathie grandissante dans une population lassée des méthodes du gouvernement. L’organisation se divise cependant sur la meilleure stratégie à adopter pour vaincre au plus vite Somoza. Une première tendance, d’obédience maoïste et dirigée par Tomas Borge, veut accentuer la guerre populaire en s’adressant d’abord aux masses paysannes, tandis que le courant dit prolétarien défend une implantation privilégiée dans la classe ouvrière urbaine. C’est une troisième sensibilité, dite insurrectionnelle, qui en définitive imprime sa marque au mouvement. Ces militant-es, parmi lesquels on compte Daniel Ortega ou le prêtre Cardenal, sont partisan-es d’une guérilla prenant appui sur les luttes ouvrières et faisant ainsi la jonction entre exploité-es des villes et des champs. Les débats internes sont vifs mais, tout au long des années 1977-1978, le combat se poursuit et s’élargit. Sentant la situation lui échapper, Somoza durcit encore la répression. L’assassinat du journaliste et opposant Chamoro début 1978 entraîne des manifestation de masse dans les grandes villes du pays. Les trois tendances internes du FSLN se réunifient peu à peu et lancent l’assaut final au printemps 1979.

…à la victoire et l’espoir

Une grève générale massive dans les principales villes du pays précède l’attaque des combattant-es armé-es sur la capitale. Somoza réplique en faisant bombarder les centres urbains. Les États-Unis ne peuvent soutenir de telles exactions, qui soulèvent l’indignation dans le monde entier. Le président Carter est contraint de lâcher son allié. Acculé, le dictateur doit fuir. La voie est libre pour le FSLN. Le 19 juillet 1979, ses combattant-es entrent dans Managua en libérateurs/trices et forment une junte de reconstruction nationale chargée de mettre en œuvre un programme de transition sociale et démocratique dans un pays exsangue. (à suivre)

Nous sortons de l’avion et nous dirigeons, vers le grand bâtiment éclairé – d’abord
la Migration et la Douane – et moi je songe, alors que nous en approchons
le passeport à la main : quelle fierté pour moi d’être titulaire du passeport de ma patrie socialiste et quel bonheur d’arriver dans le Nicaragua socialiste – « Camarade »…
c’est ce qu’on me dira – un camarade révolutionnaire bien accueilli
par les camarades révolutionnaires de la Migration et de la Douane
– il ne s’agit pas d’abolir tout contrôle, il faut en exercer un
pour éviter à tout jamais le retour du capitalisme et du somozisme –
E. Cardenal, poète de la révolution

Julien Guérin