La stratégie de Solidaires

L’Union syndicale Solidaires a sorti un 8 pages (à la une du site www.solidaires.org) de bilan de ce « mouvement social exceptionnel » – On ne lâche rien ! – qui aborde, entre autres, les questions de stratégie syndicale. La parole à Solidaires…

L’objectif de Solidaires était double. D’une part, empêcher une nouvelle régression en matière de retraite. Au vu du contenu du projet de loi, nous avons porté l’exigence de son retrait. D’autre part, nous ne nous satisfaisons pas de la situation actuelle en matière de retraite, d’où notre exigence d’une véritable réforme des retraites qui passait, entre autres, par revenir sur les mesures Balladur et la loi Fillon de 2003. Il s’agissait donc d’objectifs ambitieux qui nécessitaient une mobilisation de très haut niveau.
Plusieurs obstacles se dressaient devant nous.
Le premier renvoyait au fond du dossier. Face à la propagande gouvernementale, il fallait être capable d’envoyer un message clair pouvant être porté le plus largement possible. Compte tenu des divisions syndicales sur le sujet, il était impossible qu’un tel message fût porté par l’intersyndicale et ce d’autant plus que pendant toute une période, la question des retraites n’a été pour elle qu’une question parmi d’autres.
L’appel initié par Attac et la fondation Copernic, au printemps 2010, « Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites » a permis de lever en partie cet obstacle. Malgré des limites, il a représenté un outil utile à la mobilisation en montrant, au moins à une partie de la population, qu’une autre politique était possible.
Le second obstacle résidait dans la nécessité d’engager le plus rapidement possible un travail de mobilisation citoyenne, visant à mettre la question des retraites au centre du débat public. Le rythme et la pluralité des thèmes avancés lors des journées de grèves et de manifestations de l’intersyndicale, avant l’été, ne contribuaient que très partiellement à le faire.
L’appel Attac-Copernic allait permettre de dépasser en partie ces limites. En effet, sur la base de l’appel, des collectifs unitaires locaux, à géométrie variable, ont commencé à se mettre en place et un travail de mobilisation citoyenne a pu être ainsi engagé.Ces éléments ont contribué à la prise de conscience des enjeux et à préparer les esprits à la nécessité de la mobilisation.

Affrontement central avec le pouvoir et stratégie syndicale

Pour Solidaires, il s’agissait de préparer un affrontement central avec le pouvoir. Affrontement que l’intransigeance du président de la République rendait inévitable. Pour cela, nous avons mis en débat l’idée de grèves reconductibles. De plus, nous avons essayé de faire en sorte que les journées de grèves et de manifestations décidées par l’intersyndicale soient un point d’appui pour permettre d’enclencher une dynamique de confrontation.
Ces enjeux interrogent sur les stratégies syndicales en présence. Solidaires a été la seule organisation nationale à défendre une stratégie de construction d’une grève générale reconductible et interprofessionnelle, la seule qui selon nous était à la hauteur des enjeux pour gagner. Deux points de vue se sont confrontés dans l’intersyndicale. Le premier, porté par Solidaires et la FSU à partir de l’analyse que l’attitude du gouvernement rendait l’affrontement inévitable, visait à en construire les conditions. Ainsi, nous avons d’abord insisté sur le fait qu’il fallait créer une dynamique de mobilisation en ne répétant pas l’erreur de 2009 qui avait vu l’intersyndicale programmer des journées très espacées. Il fallait au contraire, en s’appuyant sur le succès d’une journée, rebondir très vite pour permettre d’amplifier la mobilisation et créer ainsi, journée après journée, un climat de crise sociale dans le pays.
Ce débat s’est cristallisé après le succès historique du 7 septembre. Alors que le gouvernement pensait que cette journée marquerait le début de la fin pour le mouvement, pas loin de 3 millions de personnes manifestaient dans toute la France. Le vote de la loi à l’Assemblée nationale étant prévu pour la mi-septembre, Solidaires proposa qu’une nouvelle journée, le samedi ou en semaine, ait lieu avant cette échéance, pour profiter de la dynamique créée par la réussite du 7 septembre. Bien qu’appuyé par la FSU, cette idée fut refusée par les autres organisations syndicales qui préférèrent la date du 23 septembre, ce qui amena Solidaires à ne pas signer le communiqué commun (accepté au final par la FSU). Il aura fallu attendre l’après 2 octobre, après donc le vote à l’Assemblée nationale, pour que se suive une série de journées de mobilisations rapprochées.
Au-delà du problème du rythme des journées nationales de grèves et de manifestations, une seconde question se posait. Une suite de journées, même massivement suivies, suffiraient-elles à faire céder le président de la République ? Au vu de l’intransigeance affichée et de l’enjeu du dossier, il était clair que la réponse à cette question était négative. D’où le fait que Solidaires ait mis dans le débat parmi les salarié-es la question de la grève reconductible, qui s’est concrétisée dans des secteurs trop limités (raffineries, Sncf…). Celle-ci ne se décrète pas par le haut et doit être décidée directement par les salariés concernés. Mais il est du rôle des organisations syndicales de poser cette question aux salariés, ce que l’intersyndicale s’est refusé à faire.
Ces quelques éléments n’épuisent pas les questions posées au mouvement syndical par ce mouvement. Ce débat doit se poursuivre entre équipes militantes appartenant à différentes organisations. L’enjeu est bien de tirer toutes les leçons de ce mouvement pour gagner la prochaine fois !

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