L’ESR disloqué par la décentralisation…

Attractivité des territoires, compétitivité, innovation, transfert…
Il n’y a pas que la sémantique et la proximité temporelle
de leur dépôt en Conseil d’État qui rapprochent le projet
de loi d’orientation pour l’enseignement supérieur et la recherche (ESR)
et « l’acte III » de décentralisation…

Avant que ne soit dévoilé le texte sur la décentralisation, la lecture des versions successives du projet de loi pour l’ESR montrait déjà que le gouvernement avait la volonté de répondre positivement aux demandes des collectivités territoriales (CT), et tout particulièrement des régions, de « voir mieux reconnu leur rôle » dans l’organisation de l’ESR sur leur « territoire ». Elles seraient ainsi associées de plein droit à la définition des stratégies nationales de recherche et d’enseignement supérieur. Le projet prévoit aussi que, « sur un territoire donné, qui peut être académique ou inter-académique », les établissements publics d’ESR devront « coordonner leur offre de formation et leur stratégie de recherche et de transfert ». Pour cela, ils devront obligatoirement se regrouper, soit en fusionnant pour former une seule université, soit par rattachement à une université, soit en devenant membres d’une « communauté d’universités et établissements », nouveau type d’établissement destiné à remplacer les pôles de recherche et d’enseignement supérieur que la loi supprime. Dans les conseils d’administration de ces communautés, des CT auraient des représentants, tout comme c’est déjà le cas dans ceux de chacune des universités, où ils participeraient désormais à l’élection du président. Un contrat pluriannuel d’attribution de moyens spécifiques sur projet, auparavant signé entre l’état et chaque établissement, serait désormais du ressort du regroupement, et pourrait associer les CT.

L’affirmation du rôle
des collectivités territoriales

Le projet de loi de décentralisation confirme sans ambiguïté que, dans le droit fil de « l’Europe des régions », celles-ci se verront attribuer un rôle majeur dans l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. En sus de leurs prérogatives nouvelles en matière de mise en œuvre de la politique d’orientation scolaire et professionnelle, de formation professionnelle et d’apprentissage (qui concernent aussi le post-baccalauréat de manière croissante), de pilotage des pôles de compétitivité (associant entreprises et laboratoires de recherche en vue du transfert de technologies), de gestion des fonds
européens, elles devront définir un schéma régional d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation (SRESRI), constituant « le document de référence des autres schémas établis par la région en matière de formation, d’innovation et de développement économique ». Et elles seront « consultées sur la carte des formations supérieures ».

Inégalités territoriales
et vues à court terme

Compte-tenu des différences importantes entre les régions que l’on observe actuellement dans leurs politiques de contribution au financement de l’ESR (rapporté au nombre d’étudiants ou au nombre de chercheurs) et en terme d’implantation des organismes de recherche, la crainte d’un renforcement des inégalités territoriales et de la concurrence entre régions par ces dispositions n’est pas sans fondement…

Leur capacité d’intervention dans les cartes de formation et la propension naturelle à privilégier les besoins à court terme du bassin d’emploi local risquent, dans un contexte budgétaire d’austérité « à perpétuité » et de retrait de l’état, de conduire à la disparition des formations jugées localement « inintéressantes », mais dont le maintien au niveau national est nécessaire pour la capacité à long terme de faire évoluer les connaissances. Or, en matière d’aide à l’accès aux études supérieures, les régions ont déjà tendance à ne financer que leurs habitants, pour des études effectuées sur leur territoire. L’État aura-t-il la volonté de contrebalancer les effets du localisme ?
Par ailleurs, le projet de loi de décentralisation prévoit de donner aux métropoles, qui ont toutes une implantation universitaire importante, des compétences en matière de logement étudiant, de soutien à l’innovation et à l’ESR. L’articulation métropole/région risque alors de se révéler délicate, comme le montrent les actuelles tensions au sujet de l’ESR lyonnais entre la région Rhône-Alpes, qui a déjà élaboré un SRESRI, et la future métropole « Grand Lyon » qui a défini, sans véritable concertation avec la région, son propre schéma de développement universitaire… ●

Claire Bornais