Histoire de la CGT : de 1914 à 1931 (II)

Dans le premier volet de l’histoire
de la CGT nous avions retracé
les conditions dans lesquelles la centrale ouvrière avait émergé à la fin du XIXème siècle, puis expliqué son lent, mais constant, ancrage dans la classe ouvrière avec le syndicalisme révolutionnaire comme méthode et la grève générale comme moyen d’action privilégié.
La guerre de 1914 et le ralliement
de la direction confédérale à l’Union sacrée précipite de vastes recompositions
qui aboutiront, sous l’impulsion
de la Révolution russe de 1917,
à un première scission de l’organisation.

Les cadres de la CGT sont inscrits dans le fameux carnet B et, à ce titre, doivent être préventivement arrêtés par la police en cas d’entrée en guerre. Début août 1914, le ministre de l’Intérieur Malvy décide de ne pas l’appliquer, facilitant ainsi le ralliement de la centrale à l’Union sacrée. L’intégration économique accélérée de la classe ouvrière grâce aux conquêtes arrachées par l’action syndicale et la persistance d’une tradition patriotique révolutionnaire issue de 1792 conduisent le prolétariat au ralliement à une guerre à laquelle il paiera un lourd tribu. Léon Jouhaux est élevé au rang de Commissaire à la Nation. Les droits syndicaux sont en théorie préservés mais dans la réalité, tout est subordonné à la production militaire.

Le nombre d’adhérents à la CGT s’effondre dès 1915. Face à cette participation de l’appareil confédéral à l’effort de guerre, une opposition interne s’est constituée dès l’automne 1914 autour de Pierre Monatte et Alfred Rosmer. Ils éditent La vie ouvrière dont ils font une tribune contre la guerre et l’Union sacrée. En janvier 1915, Monatte démissionne du comité confédéral pour protester contre le refus de donner suite à une invitation des socialistes scandinaves à venir participer à une conférence internationale. L’enlisement du conflit augmente le nombre d’opposants internes qui sont bientôt rejoints par plusieurs unions départementales, la fédération des métaux dirigé par Merrheim et la fédération de l’enseignement conduite par les instituteurs révolutionnaires rassemblés autour de l’École Émancipée.
Deux militants de la CGT participent à la conférence de Zimmerwald en septembre 1915 d’où est lancé un appel qui dénonce la guerre impérialiste. Le gouvernement empêche les syndicalistes de se rendre à la seconde rencontre internationaliste de Kiental au printemps 1916. Un comité de défense syndicaliste se constitue pour coordonner le combat pacifiste au sein de la CGT. La lassitude d’une tuerie sans issue, l’augmentation des prix et les problèmes de ravitaillement entraînent une recrudescence des luttes sociales tout au long de l’année 1917. De jeunes militant-es combatif-ves adhèrent à la CGT qui atteint les 600 000 membres en 1918. Malgré sa régulière progression interne, la minorité pacifiste, divisée sur la meilleure stratégie, ne parvient jamais à conquérir la majorité confédérale jusqu’à la fin du conflit en novembre 1918.

La vague puis le reflux
révolutionnaire

Aux lendemains de la guerre, la Révolution russe suscite un immense espoir dans toute l’Europe et électrise une classe ouvrière tenue en muselière depuis quatre ans. Sentant ce vent contestataire se lever en France même, le gouvernement Clémenceau accorde la mise en place d’une des revendications centrale de la CGT : la journée de travail de 8 heures. La confédération, qui continue de voir affluer des centaines de nouveaux militants dans ses rangs, reste marquée par les divisions issues de la guerre. Soutenus par les minoritaires, les mécaniciens et métallos franciliens se lancent en juin 1919 dans une puissante action pour l’application effective des 8 heures mais n’obtiennent pas gain de cause. La direction de Léon Jouhaux regarde avec méfiance ces luttes.

Le 14ème congrès de la CGT, qui se tient à Lyon en septembre 1919, est le théâtre d’une lutte rangée entre révolutionnaires qui regardent avec espoir du côté de Moscou et veulent stimuler l’ardeur revendicative et les partisans de Jouhaux qui tentent d’élaborer une ligne réformiste permettant d’arracher des avancées immédiates, comme la constitution d’assurances sociales pour tous les salariés. La grande grève cheminote de 1920 remet sur le devant de la scène ces fractures internes. Parti de Villeneuve Saint-Georges en février 1920 suite à la mise à pied d’un délégué syndical, le mouvement s’étend comme une traînée de poudre dans tout le pays. La fédération des cheminots, dirigée par l’aile gauche de la CGT, a connu un développement très rapide depuis deux ans et conteste la position frileuse prise par la direction confédérale face au développement d’une grève dont la puissance met en danger le régime. C’est la nationalisation des différentes compagnies régionales et la création d’un véritable statut cheminot unifié que les salariés des chemins de fer réclament. Début mai, en soutien à la lutte des cheminots, les postiers, électriciens, gaziers, instituteurs et métallos entrent dans l’action à l’appel de leurs fédérations respectives. Le pouvoir et la direction des compagnies restent cependant intransigeants et bientôt, le mouvement s’essouffle, fautes de perspectives d’une victoire rapide. La répression de l’État est immédiate et brutale. En janvier 1921, le Tribunal correctionnel ordonne la dissolution de la CGT. Le coup est rude même si cette décision, levée officiellement en 1924, n’est jamais appliquée. Les meneurs de la grève sont licenciés par centaines par les compagnies ferroviaires et la défaite des cheminots marque la fin de la vague enthousiaste de luttes et de syndicalisation ouverte en 1918 dans la foulée de la Révolution russe.

Le temps des deux CGT

Après le reflux des grandes grèves de 1920, le débat interne se cristallise autour de l’attitude à adopter à l’égard du jeune pouvoir soviétique. En août 1920, dans le sillage de l’Internationale communiste, constituée un an auparavant, une Internationale syndicale rouge est créée. Son objectif est de rassembler toutes les forces syndicales qui adhèrent à la révolution bolchevique.

Dans la CGT, ce débat international réveille les échos des divisions d’avant 1914 autour de l’indépendance syndicale. Les réformistes brandissent la Charte d’Amiens pour dénoncer un risque de mainmise politique sur le syndicat, tandis que les minoritaires voient dans le texte de 1906 un désaveu cinglant de l’orientation portée par la majorité confédérale de Jouhaux. Les minoritaires se structurent en comités syndicalistes révolutionnaires (CSR) qui décident de donner leur adhésion de principe à l’Internationale communiste.

Le processus de scission est alors irréversible. Au congrès de Lille en juillet 1921, les CSR représentent environ 45 % de l’organisation, contrôlant de grosses fédérations comme les cheminots, le bâtiment et les Unions départementales de la Seine ou de la Seine et Oise. Quelques mois après cette réunion de Lille, la scission est consommée lorsque, en décembre 1921, les CSR convoquent un congrès extraordinaire pour soutenir les cheminots exclus par la direction confédérale. La Confédération générale du travail unitaire (CGTU) vient de naître actant la division du syndicalisme français pour les 15 prochaines années.

Les deux centrales, chacune avec leurs forces et leurs faiblesses, se lancent dans une rude concurrence sur fond de restauration du capitalisme et d’un tassement de la combativité ouvrière. La CGTU rassemble en son sein des communistes et des libertaires fidèles aux grands principes du syndicalisme révolutionnaire. Lorsque la jeune confédération s’aligne progressivement sur les orientations du PCF et devient sa courroie de transmission, la lutte interne entre ces deux grands courants s’exacerbent. Dès 1925, autour de Monatte et Rosmer, se constitue une Ligue syndicaliste publiant la revue Révolution prolétarienne qui défend une réunification du mouvement syndical et conteste la mainmise du PC sur l’appareil de la CGTU.

La Fédération unitaire de l’enseignement, dirigée par les instituteurs-trices révolutionnaires comme Maurice Dommanget, est l’autre pôle de résistance à la ligne impulsée par le PC. Le suivisme vis à vis du stalinisme, qui s’impose en URSS en 1928-1929, et la violente ligne « classe contre classe » affaiblit à l’évidence l’organisation qui perd des militants et ne compte plus que 250 000 adhérent-es en 1932.

De son côté, la CGT réformiste se reconstruit lentement mais sûrement et compte près de 500 000 syndiqué-es aux début des années 30. Elle le fait sur une ligne modérée où, si elle reste évoquée à la tribune des congrès, la grève générale n’est plus le moyen de lutte privilégié. Les cégétistes s’investissent dans les organismes mutualistes, siègent au Bureau international du travail mais leur politique ne permet pas de gagner d’avancées substantielles au cours de cette période, même si la création des premières Assurances sociales en 1928 peut être mis à leur actif. Les liens de la CGT sont étroits avec la SFIO, mais sans le lien de subordination politique qui existe entre le PC et les unitaires.

Face à la crise : s’unir ?

Alors que le rapport entre les deux confédérations est au plus mal, certain-es militant-es ne se résignent pas à la division et tentent de s’adresser aux minoritaires des deux centrales pour les convaincre du danger mortel que constitue la brisure de l’unité de classe. Alors que la crise économique fait sentir ses premiers effets, un comité des 22 (7 confédérés, 8 unitaires et 7 autonomes) se met en place en novembre 1930. Pierre Monatte en est un des initiateurs. Son objectif est de reconstruire la grande CGT sur les bases de l’indépendance de classe pour stimuler un mouvement syndical qui paraît d’abord atone face au déferlement du chômage et à l’explosion de la pauvreté. L’aventure du comité des 22 s’achève sur fond de divergences en décembre 1931 mais ses initiateurs ont semé les germes de l’unité dont les conditions seront bientôt réunies.

À suivre… ●

Julien Guerin (77)