Colloque sur le collège (SNES, 5-6 avril 2011)

**Intro Frédérique Rolet (générale) + Claude Chabrol, SNEP (contre le SPAM, Sport l’Après-midi)

**Denis Paget

Collège, laboratoire de la compétitivité et de la performance (CLAIR et LPC) : dangerosité des réformes : alimente l’anxiété individuelle des familles ; l’anxiété des enseignants sommés de toucher aux objectifs assignés. Inégalités très importantes sur le territoire. Evaluations PISA en témoignent. Valeur des diplômes (voir Tristan Poullaouec). Si les diplômes sont dévalués sur le marché de l’emploi, cela ne signifie pas qu’ils ont perdu leur valeur intrinsèque.
Recentrage sur la scolarité obligatoire, le socle, va dans le sens de la garantie d’un minimum pour certains (et quel minimum ?). La scolarité de presque tous les jeunes s’étend au-delà de 16 ans. Il faut libérer les élèves de la pression de l’orientation professionnelles pour les recentrer sur leurs études. Le bac est l’horizon à atteindre pour la grande majorité des familles. Aujourd’hui le minimum n’est même pas l’accès à une première qualification professionnelle.
Mener une campagne publique pour refuser la mise en place d’une école fondamentale (primaire collège) mais au contraire promouvoir la continuité entre collège et lycée.
Au collège, la multiplicité des enseignants n’est pas un facteur d’échec, mais il faut questionner la fragmentation des enseignements (induit par l’APC).
Continuité, progressivité des apprentissages, pas de maillon faible mais une chaîne en tension jusqu’à la fin de la scolarité, au Bac, à 18 ans.
Donner la possibilité aux élèves de recommencer si manquement, mais ne pas imposer de tout refaire (redoublement) et permettre une orientation choisie. Donner la possibilité de rejouer les épreuves scolaires (reprendre les études pour les jeunes adultes en décrochage)
Le socle construit la conformité et non l’émancipation ; quitte les disciplines vers le transversal vers d’improbables compétences générales. Donc, se battre pour réhabiliter les disciplines, les mettre à niveau (renouveler les pratiques) pour construire la culture commune ; il faut dispenser un enseignement qui permette l’ouverture sur le monde, de redonner son importance à al maîtrise de la langue, faire un usage raisonné des nouvelles technologies, déjouer els pièges de l’aliénation et de la fascination pour les écrans.
Renouer avec l’idée que pratiques artistiques et sportives sont essentielles en termes de culture.
Mener la lutte contre la hiérarchie des disciplines ; réduire l’écart entre disciplines scolaires te pratiques culturelles vivantes : repenser le fonctionnement des établissements, renoncer à l’automaticité des évaluations.
Aide au travail : dans le service des enseignants, SP, accessible à tous les élèves. Allongement de la durée du service ? Question ouverte… Possibilité de coefficienter différemment les heures de cours devant élèves, en collège difficile, d’aide aux devoirs (sans prépa et sans corrections), etc.
Autonomie : repenser le rôle du chef d’établissement : s’en passer reviendrait à redonner confiance aux profs.
Repenser l’avenir des établissements EP : les RAR sont devenus CLAIR, ils subissent un chef et des préfets, la ghettoïsation du public. CLAIR : surveiller et punir les élèves et leurs profs : sécuritaire avant tout. « Etre entre soi, c’est s’appauvrir ; être avec d’autres, c’est réussir.» On est en train de remplacer l’éducation des plus faibles par du sécuritaire.
Renouer avec les familles ; redonner une place aux parents, et surtout redonner sens à leur mission d’éducation, à la valeur de la transmission familiale. Les jeunes se construisent en fonction des jeunes qu’ils fréquentent, il faut les aider à retrouver des repères. Refaire le lien entre culture privée et culture scolaire. La formation devrait inclure la question du dialogue avec les familles (conduire un entretien, éviter les conflits et les malentendus)

Table ronde : Regards croisés sur le métier enseignant

**Jean-Luc Roger

Actuellement, augmentation du nombre de « dilemmes de travail » qui sont de + en + difficiles. Au sein de la classe, on fait des choix : face à un pbl, quelle solution ? Quel rythme dans l’enseignement ? Quel contenu, quel savoir ? Quels choix faire face à la vie privée, quelles activités est-ce qu’on laisse tomber ? Quel rapport avec l’administration (coopération ? Opposition ?)
Essayer de cerner la complexité du métier et les changements en cours : les enjeux réels du travail disparaissent au profit de modélisation de bonnes pratiques… Il est de + en + difficile de faire des choix pertinents, donc les dilemmes se durcissent.
L’activité professionnelle ne permet pas la prise sur le monde ; ça se retourne contre la santé psychique de ceux qui vivent ces situations.
L’engagement professionnel s’érode avec situations de tensions (burn out), situation de rejet, de non contrôle de la situation ; ça se retourne contre les valeurs (contre la démocratisation, le collège unique, etc) : difficulté de faire du bon travail…
Comment faire ? Permettre de reprendre la main ; pose la question du « métier ».
Métier : 4 dimensions : 1- dimension institutionnelle (impersonnel), prescriptions, description des tâches. 2- dimension trans personnelle : appartient à ceux qui exercent le métier, culture professionnelle qui appartient à tous (il y a plusieurs manières de faire). 3- dimension inter personnelle : relations formelles ou informelles entre les personnels. 4 – dimension personnelle : façon de vivre et faire son métier
Ces dimensions rentrent en conflit. Pour que ça fonctionne, il faut que ces 4 dimensions s’articulent malgré tout. Aujourd’hui, le métier se délite : les dimensions trans et inter disparaissent… Pourtant, bcp de création, d’invention pédagogique : mais en général, difficulté de la profession à réagir face aux injonctions.
Entrer dans la question du travail par la souffrance est une mauvaise entrée : cible l’individu, alors que ce n’est pas le salarié qui est malade, c’est le travail qui est malade. C’est commode pour les institutions qui vont répondre par le médical au lieu de questionner le sens du métier ; approche compassionnelle qui n’apporte rien.
Il reste donc l’impersonnel (l’institution) et les individus : face à face très dangereux, car aboutit à écrasement des individus. Danger pour le travail lui-même : l’efficacité sociale se perd (voir dans d’autres métiers, France Télécom…)
Comment lutter ? Permettre la reconstitution de collectifs, seule solution.

**Françoise Lantheaume

Actuellement, mise à l’épreuve : du métier, du travail, des individus, et aussi du syndicat.
Le travail est une question politique qui interroge aussi le syndicat. Les mises à l’épreuve sont naturelles, on est heureux de les surmonter. Récemment, les épreuves ne sont pas surmontées, elles débouchent sur l’échec.
Alors, comment réagir : la plainte (bcp d’enseignants : signe de faiblesse) et la protestation (portée par les syndicats).
Cet état de crise permet de mettre le métier sous les projecteurs : difficultés, victimisation des enseignants. Autre difficulté, met en évidence les risques psycho-sociaux (qui coûtent cher), visibilité de la souffrance au travail prise en compte mais débouche sur des décisions médicales…
Réalité : intensification du travail des enseignants (multiplication, diversification des tâches)
N’est pas la spécificité des Français. Injonctions difficiles à concilier : tenir les objectifs et faire dans la proximité (individualiser) : l’un et l’autre ne sont pas conciliables. Intenable.
Autre difficulté : accumulation de prescriptions (internationales – PISA-, nationales, locales…) diverses, qui met les enseignants en situation de s’auto prescrire des solutions (difficile en l’absence de repères collectifs) : les enseignants disent qu’ils sont débordés….

Autre contradiction : logique de mandat et logique de services. On remplit une mission (mandat) logique descendante… Logique de service est logique de proximité : ces deux logiques en tension rendent le métier impossible.

Pbl : périphérisation de l’école : la formation ne se limite plus à l’école (amoindrit son rôle) ; modes d’éducation concurrents (officines privées…). Pour l’enseignant, il faut construire le sens de l’école en permanence : sur engagement des profs au quotidien. Il faut sans cesse justifier son action. Epreuves renouvelées.
Solution : aucune, si on reste au niveau de l’individu. Le travail, c’est politique, au sens où ça concerne le débat et la sphère publics. Si le clg est une gare de triage, que l’école n’a pour but que de pacifier, le travail n’a pas le même sens que si le clg prépare aux poursuites d’études.
Le travail est politique parce que c’est une question à débattre entre les enseignants, mais aussi avec les parents, avec els décideurs.
Question du « bon travail » : débattre avec toute la société. Sortir dans la déploration pour entrer dans l’action, quitter la sphère domestique pour la sphère politique… Rôle du syndicat : le travail est attaqué, le « réel du travail » est attaqué. Le syndicat doit construire le point de vue politique collectif qui peut sauver le travail. Rôle du syndicat : passer du local au global…
Passer de l’épreuve à la preuve de la grandeur du métier.

Table ronde : Quels leviers pour une véritable démocratisation scolaire ?

**Claude Lelièvre

Chiffres du PIB attribués à l’EN depuis 1981. PISA 2000 montre que les écarts scolaires entre élèves issus de classes populaires et issus de classes aisées énormes ; or, ces élèves ont effectué leur scolarité au moment où l’effort global consenti à l’EN était important. Donc, où vont les moyens ? Sont-ils bien utilisés ?
On constate que les moyens sont allés en premier lieu au lycée, puis au collège, et ne dernier lieu au primaire. Les moyens ne sont pas allés aux élèves de l’école obligatoire mais à ceux qui continuent après. C’est rassurant, ça signifie qu’on peut sans doute faire autrement.
Wallon (1946) : il y a deux façons de concevoir l’enseignement démocratique : une façon individualiste en fonction des mérites (recrutement socialement élargi des élites : ce qui se cache derrière l’expression « égalité des chances ») ; et la seconde, qui vise l’élévation générale de l’ensemble de la population vers ce qu’il y a de plus élevé.
Appel de Bobigny : cite 3 propositions, 1- le principe d’équité : état garant de l’équité, donne des moyens à l’école et au collège 2- sectorisation qui permet la scolarisation de tous 3- l’égalité des chances est un quiproquo, on préfère « égalité réelle des droits »

**Yves Careil

Où vont les moyens financiers ? Il faut opérer un retournement par rapport à toutes les politiques menées.
Actuellement, découragement : en tant que formateur IUFM, arrivée de la masterisation catastrophe. Distance sociale et culturelle entre élèves et profs en début de carrière. Ces distances vont encore s’aggraver. Les formateurs ne voient pas la catastrophe à venir avec les jeunes enseignants masterisés. En tant que chercheur, découragement aussi : analyse d’un système en voie de privatisation, qui bénéficie en premier lieu aux élites. Adversaire clairement identifié : néolibéralisme. On est face à des mécanismes dont on est partie prenante.
Vient de l’Ouest de la France, opposition farouche entre l’enseignement privé et public. Fibre laïque, demande que les fonds public aillent à l’école publique. Veut une république laïque et sociale.

**Tristan Poullaouec

Appartient au GRDS (groupe de recherche sur la démocratisation scolaire) : site internet, analyses et propositions pour démocratiser l’école.
La situation est si dramatique que la politique de Sarkozy n’a qu’un mérite : tout remettre à plat (tant la destruction est importante).
Des moyens ? Pour quoi faire ? En partant des familles ouvrières, on voit que le désengagement n’existe pas. 88% des parents ouvriers espèrent que leurs enfants iront au Bac : volonté de poursuites d’études aussi. Donc, ne pas se contenter d’un socle ; les enjeux sont au-delà. Il faut préparer le plus grand nombre à des poursuites d’études. C’est ce qui se vérifie aussi dans les vœux d’orientation. Le manque d’ambition des familles ouvrières n’existe pas a priori mais résulte d’une déception scolaire : si les notes sont bonnes, il n’y a pas de modestie scolaire. Les inégalités d’ambition sont liées à des difficultés scolaires qu’il faut combattre.
Quant au suivi des enfants, les familles ouvrières y consacrent autant, voire plus de temps que les autres. Donc, la démocratisation scolaire doit se faire, elle est revendiquée par tous.
Missions de l’école : amélioration massive des apprentissages avant tout autre mission. Pbl du clg comme maillon faible ? Oui, car moment de l’orientation : à repenser. Remise en question des 3 voies au lycée… Au primaire, pbl difficultés : effet très important sur la suite du parcours scolaire. Effets identiques sur enfants ouvriers ou cadres. Donc, si difficultés au primaire, parcours difficile pour tous.
Propositions :
Rompre avec la concurrence entre les élèves (repousser le plus loin possible la sélection) ; école commune de 3 à 18 ans, avec spécialisation uniquement en terminale. Que fait aujourd’hui l’école pour régler les difficultés d’apprentissage ? Il faut donc rouvrir le chantier de la réflexion pédagogique, se pencher sur la formation des maîtres. Peut-être faut-il rompre avec l’idée du maître unique au primaire ?
Appel 50 chercheurs : octobre 2010 adressé à tous les partis de gauche ; seul le PC a accusé réception.

Intervention dans le cadre du débat : Le socle empêche la transmission des connaissances. Désormais on passera presque plus de temps à penser l’évaluation que nos cours.

**Jean-Yves Rochex

Démocratisation quantitative a bien eu lieu (élévation générale du niveau) mais n’a pas résolu les inégalités sociales qui apparaissent plus tard dans le cursus éducatif.
Inversion du différentiel entre garçons et filles depuis moitié XXème siècle.
Pbl aussi des indicateurs : les élèves ne redoublent plus mais on a mis en place une éviction par le haut (ils sortent du collège le plus vite possible, mais en échec). Inégalités territoriales : 25% des élèves les plus en difficultés en entrant en 6èmer en 1995 représentent 43% des élèves de ZEP.
Question politique et sociologique majeure : les classes moyennes et populaires sont en concurrence sur le plan scolaire ; il faut rompre avec l’individualisation en marche. L’idéologie du mérite et de l’égalité des chances procède de la double externalisation : externalisations : aide qui n’est pas nécessaire à tous, au sein de l’école ; apport extérieur, privé, de soutien ou de prolongement dans le secteur privé marchand.
S’interroger sur les politiques de discrimination positive : peu de moyens donnés qui n’ont pas permis de traiter les questions qui leur étaient posées.
Revenir sur la thématique de l’équité qui ne permet pas de faire valoir une véritable égalité. L’équité vise le minimum pour tous (compétences clés UE).
Réflexion Wallon : idée de démocratisation qui passe par la culture scolaire, qui doit faire toute sa place à la culture technique, non comme une spécialité mais comme un élément de culture pour tous.

Intervention atelier 1 (06.04.2011) : contenus et pratiques

**Serge Boimare :

La place de la pédagogie est indispensable. Pour venir en aide à tous les élèves, y compris les meilleurs et donc sans baisser le niveau général.
Pour cela :
Il faut reconnaître la difficulté d’apprentissage
2 élèves sur 3 sont des « empêchés de penser ». Pb : ils sont réfractaires à l’apprentissage et aux aides. Et par notre système d’aide notamment on les aide à améliorer leur stratégie d’évitement face à l’apprentissage.
Or, ce pb ne se résout pas avec de l’entraînement supplémentaire. Mais par un nourrissage culturel intensif et par l’entraînement à débattre.
Donc les aides personnalisées sont inutiles.

Comment reconnaître les élèves « empêchés de penser » ?
Impossibilité d’affronter le temps du doute. Il se défendent alors par des sentiments parasites, soit l’autodévalorisation, soit en développant une idée de persécution. Mettent en place des stratégies pour éviter le temps du doute, temps de suspension en classe.
Ils utilisent leur corps comme rempart (gardent leur veste en cours et s’affalent sur leur chaise…)
Ils font preuve d’une curiosité et de sentiments primaires ex : voyeurisme, mégalomanie…
Un langage qui ne franchit pas le seuil de l’argumentaire, y compris en 3eme. Ils sont donc incapables de passer le brevet.
Ces élèves ne sont pas des cas exceptionnels, ils représentent 15 à 20 % des élèves dans les classes de collège.

Comment combattre ?
Par une heure journalière de nourrissage culturel : par la construction d’un patrimoine commun (par la lecture de contes, mythes, textes fondamentaux)
+ de l’entraînement à parler et à débattre.
+ des profs qui travaillent ensemble et se réunissent chaque semaine pour réfléchir à la pratique. Toutes les disciplines y participent. Par ex, les contes de Grimm sont très faciles à utiliser pour aborder l’addition en classe de 6eme (ces élèves ne la maîtrisent généralement pas à l’entrée en 6ème).