Collège unique

Collège unique contre pensée unique – Egalité scolaire contre recettes de grand-père Le collège unique sous le feu de la nostalgie réactionnaire Avec l’élection de Sarkozy, c’était à craindre, le débat reprend sur la réforme du secondaire pour passer d’un collège « unique » à un collège « pour tous », voire « pour chacun ». En 1991 déjà, Alain Juppé voulait organiser un référendum pour « casser le collège unique » et, en 1993, François Bayrou s’en prenait violemment au « collège unique, collège inique ». L’Ecole Emancipée défend le principe de l’école unique que de nombreux travaux et ouvrages récents de sociologues ont permis d’étayer. L’actualité éditoriale révèle cette année une nouvelle série d’ouvrages qui confortent ce choix avec cette fois des regards d’économistes, de hauts fonctionnaires ou encore de pédagogues .Cet article essaye de faire le point sur la question. Un vent mauvais souffle sur le collège unique Les opposants au collège unique entretiennent souvent la confusion entre « collège unique » et « collège uniforme ». L’argument ressemble à une profession de foi antitotalitaire. Mais derrière cette charge il semble qu’on puisse distinguer plusieurs registres idéologiques, tous plus ou moins réactionnaires. Ce qui se cache derrière le procès de l’uniformité, c’est d’abord un certain élitisme reposant sur le refus de croire à l’éducabilité de tous les élèves. La loi Fillon de 2005 l’exprimait en ces termes : « tous les élèves doivent développer une forme de talent », « l’éclosion des excellences », « personnaliser les parcours ». La réussite scolaire n’étant entendue ici que comme une affaire de possibilité personnelle. Les différences entre les élèves leur appartiennent à chacun, par nature . Cette vision nie les déterminismes sociaux et économiques et renoue avec la théorie archaïque et réactionnaire du don. Le mépris de classe et le racisme ne sont pas loin même si cet aristocratisme scolaire s’appuie sur un présumé bon sens : comme les enfants ont naturellement des aptitudes inégales, les mélanger dans les mêmes écoles et leur imposer les mêmes programmes conduit à constituer des classes ingérables, à tirer les meilleurs vers le bas et à faire baisser le niveau général. L’opposition au collège unique se fonde aussi sur l’idée à consonance malthusienne qu’on promet trop alors que les places d’élus sont rares dans notre société. Autrement dit, il vaudrait mieux que les enfants se résignent à l’idée d’une vie digne mais modeste. Car la démocratisation n’aurait pas permis d’endiguer le chômage des jeunes en augmentant leur niveau de qualification. De plus, elle aurait contribué à dévaloriser les diplômes, « alimentant une spirale inflationniste coûteuse et décourageante pour les intéressés » . Le libéralisme idéologique fournit une série d’arguments aux opposants au collège unique en promouvant une plus grande efficacité fondée sur la compétition et la sélection. La suppression de la carte scolaire est une mesure de pure facture libérale . Plus généralement, les libéraux préconisent l’autonomie croissante des établissements et la promotion d’une culture entrepreneuriale qui articule contrat, performance, évaluation et développement des hiérarchies intermédiaires. Ces trois registres idéologiques (élitiste, malthusien, libéral) ont pour point commun de conclure au besoin d’en revenir à une école plus sélective. En somme un gigantesque retour en arrière si l’on considère le processus historique continu de démocratisation et d’accessibilité du secondaire au plus grand nombre (filles, enfants de pauvres, enfants d’immigrés). Le seul gage « démocratique » concédé pour ne pas renvoyer à la seule naissance la justification de l’inégalité de destins s’incarne dans la méritocratie et l’égalité des chances. Cette dernière fonctionne comme un supplément d’âme qui néglige les causes sociales de l’échec scolaire, se contentant de renvoyer la réussite à la responsabilité individuelle . Maillon faible et passéisme autoritaire Beaucoup d’éléments semblent donner raison à ceux qui préconisent une école « moins unique ». Même les conditions d’enseignement dont il est facile de faire passer la dégradation pour une conséquence du collège unique, « maillon faible du système éducatif » dixit Claude Allègre : trop d’enseignants « découvrent qu’ils ne savent pas faire apprendre. Préparés à faire des cours, ils butent sur l’indifférence ou l’agressivité de jeunes qui ne manifestent aucune appétence pour les connaissances scolaires. » La classe hétérogène semble renvoyer l’enseignant à cette évidence qui tourne parfois à l’obsession : ils ne veulent pas apprendre. Les opposants au collège unique nourrissent leurs critiques de cet échec partagé par les élèves et les enseignants. Leur conclusion pédagogique s’égare dans deux impasses : le dressage et le fatalisme. Il convient ici de rappeler qu’un des groupes sociaux les plus sceptiques à l’égard des politiques de démocratisation est constitué par les enseignants eux-mêmes. Dans une enquête de la FSU de 2002, une majorité d’enseignants se déclaraient pour l’abandon du collège unique. Eric Maurin propose de relativiser ce scepticisme en montrant que le problème n’est pas seulement la difficulté à gérer au quotidien des classes hétérogènes, mais aussi que rien dans la formation des enseignants ne les prépare à ce défi pédagogique. Cela n’empêche que de nombreux enseignants se résignent face à la difficulté d’enseigner à des élèves réputés inéducables et sombrent dans le découragement voire dans un certain fatalisme. Certains regrettent l’école d’hier et « se disent alors qu’il suffirait de repasser le film à l’envers : “restaurer” l’autorité et la discipline, multiplier les sanctions, renforcer la sélectivité du parcours du combattant scolaire…» . Ce bon sens s’illustre dans les injonctions de Fillon avec la note de vie scolaire, de Robien avec la méthode syllabique et le calcul mental, mais aussi de Sarkozy lorsqu’il déplore la perte d’autorité des enseignants . Cette aspiration à une mise au pas générale est pétrie de stéréotypes et vise en premier lieu la pédagogie. « En réalité, la critique de la pédagogie, camouflée sous les oripeaux de la défense de la culture et de l’ordre scolaire, est un retour à la pensée magique : l’apprentissage s’effectuerait par décret, parce que les adultes le décident et que les enfants, sous leur emprise légitime, n’auraient qu’à se soumettre à leurs injonctions. Un pas de plus et c’est l’éloge de l’hypnose… En attendant de mettre les élèves sous électrodes ! » A quand un véritable collège unique ? Resituer le débat à une échelle internationale permet de constater que la polémique sur le collège unique n’est pas générale et que le choix de la démocratisation s’est imposé dans de nombreux pays où elle est durablement en marche . Ce qui fait dire à Jean-Paul Delahaye que « Le collège unique est une œuvre de plusieurs générations […]. Les enseignants, parce qu’ils y consacrent leur vie, savent que cette œuvre n’est pas achevée pour une partie des enfants du peuple. Les enseignants sont parfois désemparés, mais ils savent aussi qu’il serait contraire à tous nos principes de revenir en arrière et de séparer à nouveau les adolescents au sein de filières étanches. » A y regarder de près, « l’œuvre » est effectivement loin d’être achevée. On observe une multitude de pratiques qui contrarient la mise en place d’un collège réellement unique en France. Certaines sont volontairement régressives : classes de niveau, options pour parents initiés , découverte professionnelle 6h. D’autres relèvent de tentatives souvent déçues de remédiation aux difficultés des élèves : pédagogie différenciée (ou individualisée) qui dérape parfois vers une différenciation des objectifs (et/ou la mise en place de groupes de niveaux), pédagogie du détour (parcours diversifiés, travaux croisés, itinéraires de découverte), pédagogie du contrat qui individualise chaque parcours scolaire en le figeant le plus souvent en destin. Et que dire des collèges « Ambition réussite » où les horaires et les programmes nationaux ont perdu leur caractère impératif ! Ou encore des SEGPA, de l’enseignement en alternance et de l’apprentissage junior qui rompent franchement avec l’idée de collège unique. Il est utile de préciser ici que c’est ce collège si peu unique qui est tant décrié. Or dans l’enquête d’Eric Maurin il apparaît que, partout où elle a eu lieu, la démocratisation du secondaire a des effets bénéfiques sur l’emploi des jeunes avec une augmentation de la capacité d’insertion professionnelle dans l’ensemble de la population et l’amélioration des rémunérations de ceux qui en ont bénéficié. Il montre en outre que l’amélioration durable de la situation professionnelle des générations ayant profité de la démocratisation s’est produite sans effets secondaires négatifs. Il tord le cou au mythe de la dévalorisation des diplômes et démontre que la démocratisation de l’école n’a pas produit les difficultés sociales : elle les a atténuées dans un contexte de récession économique et de mise en place d’un marché du travail beaucoup plus sélectif. Philippe Meirieu propose une analyse qui permet elle aussi de redonner du crédit au principe de l’école unique en redonnant toute sa place à la pédagogie : « L’apprentissage ne se décrète pas… et rien ne permet de l’imposer à quiconque. Tout apprentissage s’effectue, pour chacun, à sa propre initiative et requiert de sa part un engagement personnel : c’est le principe de liberté. Tout le monde peut apprendre et nul ne peut jamais décider, pour une personne donnée, qu’un apprentissage est définitivement impossible : c’est le principe d’éducabilité. Ces deux principes, tenus ensemble, structurent la pédagogie : s’en tenir au premier seulement, c’est basculer dans le fatalisme, s’en tenir au second, c’est basculer dans le dressage. » D’ailleurs, poursuivre l’œuvre inachevée de démocratisation du collège conduit à postuler que les différences entre les élèves ne sont pas des caractéristiques individuelles mais des constructions sociales scolaires et non scolaires. Que l’école peut peser sur les réussites individuelles des élèves à condition de ne jamais désespérer de quelqu’un, comme le montre à sa façon le dernier roman de Daniel Pennac , puisque tous les élèves sont capables. Les leviers de la démocratisation Démocratiser le collège implique « de convoquer tous les individus pour qu’ils s’impliquent librement dans une activité contrainte » . Car il s’agit bien d’obtenir, par la pédagogie, que tous les élèves s’engagent dans les apprentissages scolaires, sans exception et sans coercition. Le travail en équipe, la classe hétérogène, les effectifs réduits, l’aide au travail personnel sont les corollaires de cette profession de foi. Or comme le montre Delahaye, on trouve dans cette liste des solutions qui sont parmi les moins explorées par l’administration de l’EN comme le travail en équipe qui donne pourtant des résultats exemplaires lorsqu’il peut avoir lieu sur l’objet même du travail des enseignants c’est à dire la fabrication des leçons. Le fait de tester en équipe pluridisciplinaire les dispositifs pédagogiques proposés ensuite aux élèves permet d’en évacuer les implicites et les codages qui sont à l’origine de la plupart des incompréhensions en classe. Les effets sont spectaculaires sur les résultats des élèves car le travail en équipe fonctionne comme un accélérateur et un démultiplicateur de solutions pédagogiques. Or malgré l’évidence du travail en équipe, il ne donne lieu qu’à une pratique quasi confidentielle dans quelques très rares collèges. Et là où il a été expérimenté, il s’est pratiqué envers et contre la hiérarchie qui y voit, au mieux, un risque de devoir financer le temps de concertation par des heures dans les services des enseignants et, au pire, un cadre où se construit le métier sans elle, autrement dit une conspiration. Ne pas renoncer au projet de collège unique implique également de recentrer l’action de l’école sur les apprentissages scolaires et de résister à toutes les forces centrifuges qui font sortir les élèves des classes. Les stages en entreprise et les dispositifs relais n’ont jamais permis à un élève de progresser scolairement. En pratique, ils institutionnalisent le décrochage au lieu d’y remédier. Raccourcir les séquences de cours à 45 minutes comme cela se fait dans certains collèges Ambition réussite est également un non-sens pédagogique car permettre aux élèves d’entrer en réflexion c’est d’abord leur donner du temps en classe. C’est donner de l’école et non de l’entreprise. C’est donner à penser et non se soumettre à une autorité virile soudainement restaurée par décret. C’est tenir bon sur des objectifs communs à tous les élèves dans tous les collèges du pays et non en rabattre sur les contenus à la première difficulté rencontrée. Le collège unique est une nécessité politique et sociale pour produire davantage d’égalité en offrant une expérience commune fondatrice de la vie en collectivité, en élevant la culture de tous avec un accès à une culture commune, en empêchant l’entre soi bourgeois. C’est aussi une nécessité pédagogique car la classe hétérogène est le seul cadre dans lequel il est envisageable de faire reculer l’échec scolaire par la fabrication collective de solutions pédagogiques qui nécessitent coopération des élèves, travail en équipe des enseignants et professionnalisation du métier par le développement de la formation continue. Ce projet de collège commun à tous les élèves ne peut être défendu par les seuls enseignants. C’est un projet politique que seul un mouvement social incluant les parents d’élèves peut porter pour faire renaître un espoir scolaire. Un appel d’organisations s’opposant aux réformes annoncées de Darcos-Sarkozy au conseil supérieur de l’éducation du 20 septembre 2007 a ouvert la voie et indiqué une direction. Car même si l’on entend encore quelques enseignants s’indigner qu’il « faudrait des structures pour ces enfants-là », (entendons les plus mauvais), de nombreux jeunes profs, eux-mêmes issus du collège dit unique, ne demandent qu’à travailler en équipe, à faire mentir l’affirmation selon laquelle les élèves sont prédestinés et à croire que tous les élèves sont capables. Enfin si une majorité d’enseignants étaient opposés au collège unique dans l’enquête de la FSU de 2002, une majorité encore plus nette de parents et d’élèves se déclaraient favorables à son maintien. Sylvain Marange Le 2 novembre 2007 Appel pour bâtir le collège pour tous (extraits) Le ministre de l’Education nationale a annoncé une disparition du collège unique afin d’en finir, explique-t-il, avec le « formatage » des élèves et de donner plus d’autonomie aux établissements pour s’adapter aux particularités des élèves. Il omet de préciser que le collège unique, c’est l’unicité de la nature des établissements et pas l’uniformité de ce que y est fait. Ce qui est en jeu, c’est la garantie d’un même droit à la scolarité obligatoire pour tous les élèves. Le collège unique n’existe pas : entre les différentes options, les SEGPA, les classes « découverte professionnelle », les CHAM, les sections internationales ou sport études, etc, les différenciations en oeuvre aujourd’hui débouchent trop souvent sur la création de classes d’élites et de classes de relégation. […] Avant le collège unique, instauré par la loi Haby de 1975, existaient trois types de collèges (CES, CEG et CET), puis trois filières séparées (classique, moderne, technique). S’agit-il de revenir à cette sélection précoce que le président de la République récuse par ailleurs ? […] Nos organisations s’opposent catégoriquement au retour de toute sélection précoce. Il est urgent que le ministre sorte de l’ambiguïté des slogans et s’engage clairement en faveur de la démocratisation du second degré, à travers l’absence de sélection, l’hétérogénéité des classes et l’acquisition par tous d’un ensemble commun de connaissances et de compétences que l’école s’engage à faire acquérir à tous les élèves. Organisations signataires : CFDT, FCPE, FEP-CFDT, FSU, JPA, Ligue de l’enseignement, SE-UNSA, SGEN-CFDT, SI-EN-UNSA, SNEP-FSU SNES-FSU SNPDEN-Unsa, SNUIPP-FSU, UNEF, UNL, UNSA-Education, UNSEN-CGT. La droite au pouvoir et le collège unique : « un formatage absurde et universel1 » Deux jours après la rentrée, le 4 septembre 2007, en présentant sa Lettre aux éducateurs, Sarkozy a fait part de sa volonté de « réformer » le collège unique, « pour que les différences de rythmes, de sensibilités, de caractères, de formes d’intelligence soient mieux prises en compte ». En revendiquant de « donner le maximum à chacun plutôt que le minimum à tous », Sarkozy offre un nouvel écho à un slogan de François Bayrou qui s’était promis de passer « du collège pour tous au collège pour chacun ». Le 5 et le 6 septembre Darcos confirme : « le collège unique est totalement dépassé ». « Oui, on en parle au passé ». Il dénonce « un formatage absurde et universel » et confie : « le président de la République souhaite que le collège unique disparaisse. Il m’a donné mission de rompre avec le collège unique car plus personne ne croit » au principe « selon lequel tout le monde doit faire la même chose au même moment dans l’Aveyron ou dans l’Essonne ». « Chaque collège réagit aujourd’hui en fonction des publics qu’il a, des problèmes qu’il rencontre ». « Je ne dis pas que le collège unique n’a pas été utile, je dis que le collège unique n’est plus adapté aux difficultés que rencontre l’école aujourd’hui ». Le collège unique sera « remplacé » par « une plus grande autonomie des établissements ». Sylvain Marange 1. Xavier Darcos, 5 septembre 2007

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