Cécile Ropiteaux : Répression partout, démocratie nulle part

Nous pourrions revenir longuement sur les violences policières et les différents décomptes chiffrés et documentés qui en témoignent. Pointons le fait qu’il ne s’agit pas de bavures individuelles, mais bien d’un dispositif pensé, d’une stratégie gouvernementale délibérée de la tension et de l’affrontement. Et le bilan est lourd ! A Dijon, nous avons accueilli mercredi dernier le neurochirurgien Laurent Thines, qui alerte depuis des mois sur la gravité des traumatismes et sur les séquelles souvent irréversibles causées par les LBD, les matraques et les gaz lacrymogènes, véritables armes de guerre. Le professeur compare les blessé-es d’aujourd’hui aux « gueules cassées » de 14-18. Il n’est pas difficile de comprendre comment les manifestations des Gilets jaunes sont passées de « la police avec nous » à « tout le monde déteste la police ».


Le gouvernement veut à tout prix faire taire la contestation, discréditer le mouvement social et dissuader de manifester, y compris par la peur.

La répression, elle est aussi judiciaire. Les comptes rendus de comparutions immédiates sont édifiants. En particulier, la « participation à un groupement en vue de… » permet de s’appuyer sur des intentions présumées. On assiste à des gardes à vue abusives. En 2019, en France, on peut être arrêté-e pour des pancartes ou des slogans, et donc pour des idées ! Comme cette collègue placée en garde à vue pour « insulte au président ».
Ou bien pour des actes dont les qualifications sont délirantes ! Nous pensons bien sûr à notre camarade et ami Olivier qui, en lâchant son sac, aurait commis un outrage ! Ce qui lui a valu une violente interpellation. Ou à cette manifestante enceinte, dont le dispositif de protection a été qualifié d’arme par destination : Espagnole, elle a même frisé l’expulsion !

Tout cela est aussi à relier à la volonté de museler les enseignant-es, de restreindre leur liberté d’expression. Là encore, on a des exemples qui remontent d’un peu partout…

Jeudi, à l’AG éducation à Dijon, les collègues du collège de Sombernon ont évoqué le conflit qui les oppose à leur principal depuis 18 mois. Pressions sur les personnels, arbitraire des décisions, mépris du droit syndical, chantages à la titularisation, agressions verbales… 34 témoignages de souffrance au travail ont été collectés. A l’automne, le rectorat semblait avoir une appréciation équilibrée de la situation et être favorable à une médiation. Puis les choses ont basculé, et il s’agirait maintenant de sanctionner les deux collègues qui ont porté l’action collective, mutation pour l’un et blâme pour l’autre !1 Comment ne pas faire le lien avec l’article 1 du projet de loi Blanquer ?

En Gironde, des enseignant-es ont été sommé-es de relayer la parole du Ministre auprès des usager- es. Ailleurs, l’administration envoie des lettres d’admonestation… et même tente d’intimider des parents d’élèves !

Si les plus chevronné-es d’entre nous avons les moyens de résister, on peut craindre que nos jeunes collègues intègrent ce fonctionnement comme normal… surtout quand ils/elles ont été formé-es à la e-réputation dans les ESPE ! « Sois prof et tais-toi ».

Enfin, on constate des tentatives d’ingérence des politiques.
Dans le Jura, exemple parmi d’autres, une députée met en cause une collègue dans un courrier adressé aux parents d’élèves. A Nice, Ciotti s’en prend à Olivier après son arrestation, au mépris de la présomption d’innocence, et demande sa suspension au recteur !

Tout cela constitue des atteintes gravissimes à la liberté d’expression et de manifestation, fondamentale en démocratie !

Jean-Marie Delarue, président de la CNCDH, écrit : « S’il n’y a pas de voix qui s’élèvent pour incarner ce que nous prétendons être, [c-à-d le pays des droits humains], il n’y a aucune raison pour que la France résiste mieux que les autres pays à la tentation de renoncement à nos grandes libertés, à laquelle les gouvernements successifs ont déjà en partie cédé. »

Le mouvement syndical doit dénoncer clairement ces reculs démocratiques liberticides. Il y va aussi de sa survie !

Il nous faut bien sûr défendre et soutenir les militant-es poursuivi-es.
Puis envisager des initiatives unitaires larges, des expressions communes, multiplier les Observatoires des libertés publiques et des violences policières, des meetings contre la répression… Dénoncer les violences et les injustices, mais aussi visibiliser les résistances.
Faisons de l’indignation un levier puissant d’engagement !